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Je suis arrivée au Caire le dimanche 23 janvier 2011 et j'en suis repartie dans des conditions exceptionnelles le dimanche 30 janvier 2011.

 

Le mardi 25 janvier 2011, la révolution égyptienne est en marche ...

 

Si je tiens à témoigner des évènements, c'est avant tout par solidarité avec le peuple égyptien. À aucun moment des faits rapportés, je ne me suis sentie en insécurité.

 

À l'heure actuelle, je souhaite au peuple égyptien un nouveau dirigeant qui le respecte et qui puisse lui garantir des conditions de vie décentes. J'espère également avoir la possibilité de retourner là-bas le plus vite possible car l'Égypte et les Égyptiens me manquent déjà.

Égypte, dimanche 23 janvier 2011

17h15. Notre avion atterrit au Caire.

C’est la quinzième fois que je me rends en Égypte depuis 2003 et c’est toujours avec un petit pincement au cœur que je retouche le sol égyptien.

Nous rejoignons le quartier de Dokki pour retrouver notre modeste et sympathique hôtel égyptien où nous avons nos habitudes. C’est le moment des retrouvailles avec nos amis égyptiens. Nous sommes à 20 minutes à pied du midan Tahrir.

Égypte, lundi 24 janvier 2011

Tout est paisible. Nous visitons Giza puis nous nous mettons en route pour la Mer Rouge.

Égypte, mardi 25 janvier 2011 (J1 des manifestations)

Nous sommes maintenant dans le Sinaï. Loin des grandes villes, je n’ai pas conscience de ce qui se passe.

[Ce jour, des milliers d’Égyptiens descendent dans la rue et réclament le départ du président Hosni Moubarak au pouvoir depuis près de 30 ans. Au Caire, environ 15.000 personnes, en grande partie des jeunes. Plusieurs milliers de personnes se rassemblent sur la grande place Tahrir (place de la Libération) et ses environs. Premiers morts, 500 arrestations.]

Égypte, mercredi 26 janvier 2011 (J2)

Nous sommes dans le Sinaï depuis deux jours et aujourd’hui, nous marchons beaucoup. Il fait beau, les paysages sont à couper le souffle. Je suis épuisée mais aussi euphorique. L’Égypte est décidément un pays magnifique. À la tombée de la nuit, nous nous mettons en route pour Ismaïlia.

[Dans la matinée, le ministère égyptien de l’Intérieur indique qu’il interdit toute nouvelle manifestation. Les voyages « non essentiels » en Égypte sont déconseillés. Le gouvernement commence à verrouiller Internet. En fin de journée, dans le centre du Caire, plusieurs centaines de manifestants redescendent dans la rue. Ils sont 2.000 à Suez. 200 arrestations. Les États-Unis appellent l’Égypte à lever l’interdiction de manifester, et à ne pas perturber l’accès à Internet.]

Égypte, jeudi 27 janvier 2011 (J3)

Nous visitons le musée, nous explorons le site de Tanis et nous arrivons à Alexandrie dans la soirée. C’est le premier jour où des informations précises me parviennent sur les mouvements en cours et sur leurs prolongations le lendemain. Une grande manifestation est prévue ce vendredi au Caire.

[Mohamed El Baradei, opposant laïque et prix Nobel de la paix, déclare être prêt à mener la transition politique en Égypte. Pour la troisième journée consécutive, de nombreux Égyptiens se rassemblent notamment dans les rues du Caire et d’Ismaïlia. La répression fait maintenant au moins six morts, dont un policier. Le mouvement islamiste des Frères musulmans, le plus important et le plus organisé des groupes d’opposition, affiche son soutien au mouvement et pourrait participer à la démonstration de force du lendemain.]

Égypte, vendredi 28 janvier 2011 (J4)

08h00. Nous sommes prêts à nous mettre en route pour notre journée de visite de sites d’Alexandrie. Discussions avec la police. Nous lui communiquons notre programme. Nous ne pouvons finalement visiter que jusqu’à midi, heure à laquelle la police nous fait quitter la ville pour des raisons de sécurité alors qu’ils savent que notre prochaine destination est le Caire. C’est le premier jour où notre programme initial est modifié. Espérant éviter les moments chauds de la manifestation de l’après-midi, nous faisons un arrêt prolongé en route afin de rejoindre le Caire dans la soirée. Nous parvenons à l’hôtel finalement assez facilement. Nous ne devons pas passer par le centre du Caire et nous ne tombons que sur quelques routes barrées par la police. Cela oblige nos deux grands bus à se faufiler et à manœuvrer dans des rues parfois fort étroites mais nos chauffeurs sont des as du volant.

Installation à l’hôtel. Internet est coupé. Nos GSM ne fonctionnent plus que très aléatoirement. L’agitation est bien palpable et nous entendons des coups de feu au loin. Le couvre-feu est décrété mais les rues sont noires de monde. À deux, nous décidons d’aller prudemment jeter un œil. Nous voulons montrer notre solidarité au peuple égyptien. Je décide de ne pas prendre mon appareil photo de peur qu’il me soit confisqué et nous rejoignons le midan Galaa qui se situe au bout de notre rue. Deux ponts le séparent du midan Tahrir, le Al-Galaa Bridge puis un peu plus loin le At-Tahrir Bridge. Des barricades sont dressées, elles sont constituées de réverbères arrachés, de cabines téléphoniques démantelées et même de pots de fleurs de l’hôtel Sheraton. À l’extrémité du Al-Galaa, nous voyons maintenant deux cars de policiers qui se font chahuter par les manifestants. Les policiers restent relativement stoïques pendant que les manifestants se défoulent mais les gaz lacrymogènes se font sentir. Nous rencontrons deux jeunes Égyptiennes. Nous sommes donc quatre femmes sur cette place. Nous parlons avec l’une d’entre elles. Elle est en première année d’études de droit et maîtrise parfaitement l’anglais. Elle est là pour défendre son avenir. Du pont, nous voyons arriver des personnes traînant derrière eux des fauteuils à roulettes ou serrant sous leur bras des écrans d’ordinateur. Tout ce matériel provient du siège du parti de Moubarak (PND) qui est maintenant en flammes.

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Siège du Parti national démocrate (PND).

La tension monte, les Égyptiens nous disent de partir pour des questions de sécurité. Nous le sentons également et nous regagnons prudemment l’hôtel. Le lendemain matin, nous revoyons ces deux cars de policiers au même endroit mais complètement carbonisés, l’asphalte du pont a même fondu.

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Cars de police, Al-Galaa Bridge.  

Dans la soirée, nous constatons que les services de messagerie GSM ne fonctionnent plus du tout.

[Arrivé au Caire, Mohamed El Baradei propose de mener la transition au régime de Hosni Moubarak. Barack Obama affirme que la violence n’est « pas une solution aux problèmes en Egypte », et appelle le gouvernement et les manifestants à faire preuve de retenue. Le ministère de l’Intérieur avertit qu’il va prendre « des mesures décisives » contre les manifestants. Le couvre-feu est décrété dans tout le pays de 16 heures à 5 heures GMT jusqu’à nouvel ordre. Moubarak demande à l’armée de faire respecter la sécurité avec la police. Peine perdue : dans la matinée, dès la fin de la prière du vendredi, des dizaines de milliers de personnes défilent dans toute l’Égypte pour protester contre la pauvreté et le chômage. Mohamed el Baradeï et ses partisans se joignent aux manifestants. Le gouvernement égyptien ordonne à tous les opérateurs de téléphonie mobile opérant sur le territoire égyptien de suspendre leurs services « dans des zones choisies » du pays. Le soir, des véhicules blindés de l’armée circulent en ville avec des civils à bord, et tous font le V de la victoire, salués par la foule. Les manifestants mettent le feu au siège du Parti national démocrate (PND), au pouvoir. Au moins vingt Frères musulmans sont arrêtés dans la nuit. Un septième décès à Cheikh Zouwayed, dans le nord du Sinaï. Encore plus de morts et des milliers d’arrestations. La Maison Blanche se dit « très préoccupée » et la chef de la diplomatie américaine Hillary Clinton appelle le gouvernement égyptien à mettre fin au blocage « sans précédent » des communications dans le pays. Dans la nuit, Moubarak, annonce, dans une allocution télévisée, avoir limogé son gouvernement et informe de la formation d’un nouveau cabinet dès samedi. Il promet également de « nouvelles mesures » pour la démocratie.]

Égypte, samedi 29 janvier 2011 (J5)

La première chose que nous faisons ce matin est de téléphoner de l’hôtel via le réseau fixe en Belgique où nous nous doutons que suite aux images diffusées, l’inquiétude est grandissante. Le matin, tout paraît tranquille et calme : plus de cris, plus de bruits d’armes à feu. À deux, nous décidons d’aller nous promener dans le quartier islamique. En route vers le musée d’art islamique, notre taxi traverse le pont du 6 octobre, le siège du PND se consume tout doucement tel une bougie mal éteinte. Les services de pompiers arrivent péniblement à arroser les deux premiers étages. Ce bâtiment se situe tout à côté du musée du Caire avec lequel il forme un angle droit. Je commence à m’inquiéter pour le musée qui se trouve aux abords du midan Tahrir, c.-à-d. au cœur de la zone de troubles.

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  Musée du Caire, photos du 30/01/2011.

Le musée d’art islamique est fermé, comme d’ailleurs, nous l’apprenons plus tard, tous les sites touristiques. Nous apercevons un char et un bâtiment d’État devant lequel est déployé cinq rangées de policiers équipés de visières et de boucliers. Nous nous dirigeons à pied vers Bab Zuweyla et nous croisons nombre de véhicules incendiés. Nous remontons la rue Al-Muaiz jusqu’à Bab al-Futuh et nous ne croisons que de rares étrangers. Nous avons l’impression d’avoir le Caire pour nous seules. Beaucoup d’échoppes sont fermées. Cela discute beaucoup en rue mais toujours calmement. Le nom de Moubarak revient sans cesse. Je prends beaucoup de photos et sur notre passage, on nous propose très gentiment de nous ouvrir deux mosquées afin que nous puissions les visiter. Nous avons même l’opportunité de monter au sommet du minaret d’Al-Ghouri. Soudain, mon GSM se fait entendre, je reçois des messages vieux de 24h. Le réseau de téléphonie mobile semble rétabli. Au fur et à mesure que la matinée avance, la tension monte et les discussions deviennent plus animées. Nous nous dirigeons vers le Khan el-Khalili où nous connaissons plusieurs petits restos sympas. Tout est fermé. Vers 1h, nous décidons de reprendre un taxi pour rejoindre le quartier de Dokki. Les manifestants sont déjà bien regroupés au midan Tahrir, néanmoins certains d’entre eux font la circulation et permettent aux voitures d’encore traverser la place. Nous nous rendons à l’hôtel Sheraton pour boire et manger un léger repas. Le contraste est saisissant. Les touristes présents semblent vivre dans un cocon. Aucun d’eux ne prend même la peine de se déplacer près de la baie vitrée où tout le personnel égyptien va régulièrement jeter un œil. Nous recevons sur nos GSM, un appel de JetAir qui nous annonce que le plan de notre vol a été modifié. Nous partons demain à 15h35 au lieu de 17h35 et nous faisons escale à Aqaba. On nous demande d’être présents à 13h35 à l’aéroport. Ensuite, nous nous mettons en router vers un magasin de quartier non loin de notre hôtel. Il est bien ouvert mais il est impossible de rentrer. Il est saturé de monde et de caddies plein à craquer. Les Égyptiens qui en sortent tiennent au moins une petite dizaine de sacs dans les mains. Les Égyptiens font des réserves. Nous nous rabattons alors sur une petite échoppe dans la rue de notre hôtel et là, il nous est encore possible d’acheter de l’eau et du coca. Nous rentrons à l’hôtel et passons l’après-midi à regarder la télévision à l’affût de tout programme d’informations utiles. Moubarak fait prêter serment à Souleimane en tant que vice-président. Un commentateur politologue nous apprend qu’il dirige les services d’espionnage et de contre-espionnage et qu’il est responsable de tout ce qui touche la répression et la torture pratiquée en Égypte. Pauvres Égyptiens, on se moque vraiment d’eux. L’armée remplace les policiers dans les rues et les chars se multiplient, elle appelle également les Égyptiens à respecter le couvre-feu et à se protéger eux-mêmes contre les pilleurs. De notre petite terrasse, nous entendons des coups de feu au loin et même une explosion. Un nouveau panache de fumée noire se découpe maintenant dans le ciel déclinant du Caire. Plus tard, nous apprenons le pillage du musée du Caire. Je suis effondrée. Nous apprenons également que de braves Égyptiens et des membres de la police touristique ont tenté d’arrêter les pilleurs en attendant l’arrivée de l’armée. Je suis très touchée. Dans la soirée, du toit de l’hôtel, nous remarquons deux groupes d’Égyptiens armés de barres de fer, de bâtons, de tout ce qui peut ressembler à une arme, l’un d’entre eux a même un fusil. Nous comprenons qu’ils sont là pour défendre notre hôtel, leur quartier et la petite supérette de notre rue. Nous assistons également à la capture de deux pilleurs par un groupe d’une cinquantaine d’Égyptiens.

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  Chasse aux pilleurs.

Ils se font quasiment massacrer sous nos yeux puis ils sont emmenés et soustraits à notre regard encore vivants. Nous ne donnons pas cher de leur peau. C’est la loi de la rue.

[Le président américain exhorte son homologue égyptien Hosni Moubarak a prendre des mesures « concrètes » en faveur de réformes politiques et à ne pas avoir recours à la violence contre les manifestants hostiles à son régime. Moubarak procède à la nomination d’un nouveau vice-président, le premier en 30 ans, Omar Souleimane, et d’un nouveau Premier ministre, Ahmad Chafic. JetAir et Thomas Cook annulent tous leurs vols à destination de l’Égypte. El Baradei appelle Moubarak à partir sans délai, affirmant que la nomination d’un vice-président et d’un nouveau Premier ministre n’est pas suffisante. Le président de l’Union européenne, Herman Van Rompuy, appelle à « l’arrêt de la violence pour stopper les effusions de sang » en Égypte. La colère des Égyptiens demeure intacte, les cortèges se reforment de manière spontanée dès les premières heures de la matinée, ils s’étirent parfois sur plusieurs kilomètres. Des chars et des unités de combat ont pris position dans les quartiers centraux du Caire. Les manifestants tentent de rallier l’armée à leur cause. Ils sont encore des dizaines de milliers à défier le couvre-feu. C’est le moment des pillages et de la formation des comités de quartiers.]

Égypte, dimanche 30 janvier 2011 (J6)

8h30. Tout est calme, en petit groupe, nous partons à pied de l’hôtel pour nous diriger vers le midan Tahrir. Arrivés à l’extrémité du At-Tahrir Bridge, un barrage de militaires contrôlent systématiquement tous les Égyptiens. Certains de nous faire refouler, nous continuons tout de même à avancer. Un soldat nous indique alors un passage sur le côté où aucun contrôle n’est effectué. Il n’y a que quelques autres étrangers. Un jeune Égyptien vient spontanément vers nous, il fait le V de la victoire de la main gauche et tient une balle de l’autre. Il veut que nous le prenions en photo. Des Égyptiens dorment sur le peu de pelouse existante. Quand ils nous croisent, ils nous disent « Bienvenue en Égypte ! », « Vive l’Égypte ! » et parfois s’excusent même de la situation !

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« Vive l’Égypte ! » 

Nous leur faisons comprendre que nous sommes avec eux. Nous voyons un petit garçon installé au volant d’une voiture carbonisée. Il ne nous sourit pas, il a l’air préoccupé. Parfois, il se penche pour fouiller dans les ordures qui s’étalent autour de la voiture. Je n’oublierai jamais son regard.

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  Petit garçon au volant d''une voiture carbonisée.

La place est maintenant complètement bouclée, tous les accès sont bloqués par des chars. Un hélicoptère balaie sans cesse le ciel au dessus de nos têtes.

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 Char et hélicoptère.

Nous prenons la direction du musée et nous voyons une femme en burqa aux côtés de son mari. Elle s’est drapée d’un drapeau égyptien sur lequel est écrit « Vive l’Égypte ! ». Nous nous approchons du musée. Il est maintenant gardé par deux chars et un cordon sanitaire de militaires l’entoure complètement. Nous devons rentrer à l’hôtel. Le départ vers l’aéroport est proche. Quand nous quittons la place vers 10h15, des cortèges commencent à se reformer et à se mettre en marche. Parvenus à la hauteur du pont At-Tahrir, un imam musulman est monté sur un char et harangue la foule.

10h45. Nous partons bien à l’avance pour l’aéroport afin de pouvoir faire face à toutes difficultés éventuelles. En chemin, le trafic est loin d’être dense. Notre accompagnateur égyptien nous nomme tous les bâtiments incendiés que nous voyons en route. Après 1h de trajet, nous arrivons à l’aéroport. Nous déposons 4 personnes au Terminal 3 puis nous nous dirigeons vers le Terminal 1. On ne voit plus un cm2 d’asphalte, des voitures, des taxis et des bus de toutes tailles s’entassent. Nous avançons à une allure d’escargot et nous mettons 1h15 pour parvenir à notre terminal. Notre chauffeur n’a rien perdu de son habileté, il réussit à garer notre bus dans un mouchoir de poche et nous pouvons extraire les bagages des soutes. Nous sommes alors 24 à prendre le même avion. Notre valise à la main, nous nous dirigeons alors vers l’entrée du terminal en face de laquelle s’est formé un groupe compact de personnes et de caddies et de sacs. Il y a autant de gens qui veulent en sortir que de gens qui veulent y rentrer. Nous devons nous frayer un chemin et jouer des coudes pour rentrer. À l’intérieur, cela va un peu mieux, on respire. Pour rejoindre la zone des comptoirs d’enregistrement, les quelques rares policiers présents obligent les gens à faire passer les bagages par les portiques de sécurité. Nous nous retrouvons de nouveau dans une cohue magnifique. Les sacs sont lancés dans le portique où ils se disposent en plusieurs couches informes. Le tapis roulant se bloque à plusieurs reprises mais finit toujours par se remettre péniblement en marche. Notre groupe est alors séparé en plusieurs petits groupes. Il est impossible de rester ensemble. Arrivés de l’autre côté des portiques, dans la zone d’enregistrement, c’est encore pire. Nous nous retrouvons au milieu d’une véritable marée humaine. Il nous est impossible de repérer le comptoir JetAir : les panneaux d’affichage sont trop loin de nous et nous ne parvenons pas à les lire ni à nous en approcher. Avec nos bagages, nous avançons de 10m en 1h sans même savoir si nous allons dans la bonne direction. Nous arrivons tout juste à comprendre qu’en général, tous les vols européens enregistrent à l’extrême droite du terminal. Nous nous dirigeons donc vers la droite. Le sac à dos de la personne juste devant moi me compresse la poitrine. Une énorme femme égyptienne me pousse de toutes ses forces. J’ai les doigts coupés à force de tenir mon sac de voyage. Un caddie me roule sur le pied. Après 2h de cette impossible progression, mes nerfs lâchent : je tremble comme une feuille et j’ai l’impression de ne plus savoir respirer. Je crie que je suis malade et je fuis la file où j’étais pour me précipiter contre une baie vitrée où je peux échapper un instant à tout mouvement. Trois jeune Libyens m’aident à me mettre à l’abri. Je fonds en larmes. Ils m’offrent de l’eau et m’aspergent d’eau parfumée pour me détendre. Je reste avec eux une demi-heure pendant laquelle je peux observer les yeux ébahis le spectacle qui se déroule devant moi. Des caddies vides semblent flotter au-dessus de la foule, ils passent de main en main au-dessus des têtes. Des personnes portent d’énormes valises à bout de bras au-dessus d’eux, espérant pouvoir avancer un peu plus vite. Des enfants pleurent. Une femme s’effondre près de nous, à bout de force. Nous prenons soin d’elle. Les Libyens me disent que c’est comme cela depuis au moins 24h. Ils ont dormi à l’aéroport et leur avion ne part toujours pas. Je leur explique que maintenant j’ai perdu tout mon groupe et que je me retrouve seule. J’essaie encore avec eux de lire un panneau quelconque, de glaner une information. Peine perdue. L’heure avance, mon avion est censé décoller dans une demi-heure. Je vais le rater c’est certain et devoir aussi dormir ici. À cette idée, je reprends courage et je me replonge dans la foule. De nouveau c’est la bousculade et je regrette d’avoir quitter les Libyens. Une bagarre éclate juste à côté de moi. Je leur hurle de s’arrêter et ils se calment. Miracle ! C’est à ce moment que j’aperçois, pas trop loin de moi, une figure amie qui me crie qu’elle a sa carte d’embarquement et que le comptoir JetAir se trouve en fait à l’extrême gauche du terminal. Demi-tour, je « fonce », je joue des coudes. Maintenant, moi aussi, je pousse, j’écrase. J’y parviens enfin : au loin, pile devant moi, un écran bleu affiche « JetAir, Bru ». Le bonheur ! Il me reste 10m à franchir quand se dresse devant moi une montagne de bagages, de valises, de sacs. Je dis aux Égyptiens qui semblent camper là que je dois absolument passer. Très stoïquement, ils haussent les épaules semblant me dire « impossible ». Je lance alors mon sac par dessus tout - quelqu’un le rattrape pour moi de l’autre côté - et j’escalade moi-même le tas de bagages. J’entends les Égyptiens rirent derrière moi et ils ont bien raison. Je parviens enfin au comptoir. Avec l’aide d’un employé égyptien de JetAir qui se démène littéralement, j’enregistre et j’obtiens moi aussi ma carte d’embarquement. Là il me dit que je dois me rendre au contrôle des passeports. Ce dernier se situe à l’extrême droite du terminal. Je dois donc tout retraverser mais cette fois sans mon sac. C’est beaucoup plus facile que ce que je pensais. L’habitude ? Je fais la file, je passe le contrôle des passeports. Après près de 4h, je suis enfin dans la zone d’embarquement. Nous nous regroupons, nous nous comptons. 1h après, tout le monde est là. Nous décidons d’aller manger et boire quelque chose dans un des établissements de l’aéroport. En fait, il y encore de quoi boire mais il n’y a (déjà) plus rien à manger. Nous déballons sur la table toutes nos réserves de nourritures et nous pique-niquons. Un peu plus tard, nous sommes près à embarquer. Pour le plaisir, je recompte le groupe. Nous sommes bien 24, c.-à-d. au complet. Incroyable ! Dans l’avion, des passagers pour Aqaba. Ils sont soulagés de nous voir. Confinés dans l’avion, cela fait 5h qu’ils nous attendent. Nous nous envolons pour Aqaba. Les voyageurs en provenance de Bruxelles descendent et nous chargeons les voyageurs d’Aqaba qui, eux, rentrent sur Bruxelles. Ils attendent cet avion depuis 5h à l’aéroport d’Aqaba. Nous redécollons enfin pour la Belgique. Dernier trajet, dernière ligne droite. Pour la première fois, je suis soulagée de rentrer chez moi et en même temps, un autre sentiment contradictoire commence à naître : l’Égypte me manque déjà !

[Les Bourses de la plupart des pays arabes du Golfe, dont plusieurs firmes ont des intérêts en Egypte, plongent dans la foulée des tensions en Égypte. Les nouvelles nominations au Gouvernement sont rejetées par les Frères musulmans. La chaîne satellitaire al-Jazira qui fait trembler par sa couverture des protestations les gouvernements arabes est interdite en Égypte. Des milliers de manifestants affluent vers le centre du Caire pour continuer la révolte. L’armée boucle le centre de la capitale égyptienne avec des chars d’assaut. Plusieurs milliers de prisonniers s’évadent de prison dans la nuit après une émeute dans la prison de Wadi Natroun, à 100 km au nord du Caire. Les forces de sécurité font usage de gaz lacrymogènes et de balles caoutchoutées. 111 morts, 2.000 blessés. Les manifestations paralysent partiellement le pays, de nombreux distributeurs de billets sont vides, les banques sont toujours fermées. L’ambassade des États-Unis au Caire annonce qu’elle se prépare à évacuer ses ressortissants d’Égypte dès demain. Obama exhorte le régime de Moubarak à mettre en œuvre des réformes et à faire preuve de retenue. En Israël, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu affirme que son pays veut préserver la paix avec l’Égypte. Le président Nicolas Sarkozy a assuré que la France se tenait « avec amitié et respect aux côtés des Tunisiens et des Égyptiens ». JetAir décide d’évacuer ses 1.700 clients présents sur le sol égyptien. 120 Belges sont bloqués à l’aéroport de Louxor.]


Les photos publiées dans cet article sont celles de Guy V. avec son aimable autorisation.
Les compléments d'actualité, compilés lors la rédaction de cet article, proviennent du site Internet du journal "Le Soir".